Le maréchal Abdel Fattah Al-Sissi va-t-il légitimer la répression en Egypte après l’onction du pouvoir de jure acquise ?

30 mai 2014

Le maréchal Abdel Fattah Al-Sissi va-t-il légitimer la répression en Egypte après l’onction du pouvoir de jure acquise ?

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C’est fait. Le maréchal Abdel Fattah Al-Sissi a été élu nouveau président d’Egypte. Le résultat de l’élection présidentielle égyptienne dont l’issue était presque connue d’avance par les observateurs avertis, n’aura surpris presque personne. C’est même, me semble t-il, une énième manifestation d’un curieux concept de démocratie Nescafé, à l’africaine (sic!) que je découvre à la suite de la lecture d’un instructif récent billet de De Rocher Chembessi sur son blog. A lire les résultats du scrutin égyptien, on se dit que le mercure électoral aura vraiment chauffé à l’extrême pour Al-Sissi qui obtient 97 % des voix contre 3 % seulement à son faire-valoir d’adversaire Hamdine Sabahi.

Un bémol s’impose néanmoins. Ce plébiscite qui aurait pu désarçonner et dû rabattre le caquet à toute opposition égyptienne, aura été, hélas, timoré par un faible taux de participation des électeurs qui s’est situé à 36 % à l’issue de deux jours officiels de vote prévus. Même quand un troisième jour supplémentaire a été accordé aux électeurs, ce taux n’aura dépassé guère les 44 %. C’est à penser que, seuls les pro-Al-Sissi se sont rendus aux urnes, accorder ce plébiscite à leur idole. C’est dire aussi qu’un tel pourcentage de participation dévoile plutôt une sorte d’impopularité d’un homme dont on a cessé pourtant de vanter le contraire. Arguer, comme tentent de le faire, aujourd’hui, les pro-Al-Sissi, que malgré ce faible taux de participation, leur leader à été élu avec près de 23 millions de voix d’Egyptiens contre 13 millions à son prédécesseur Mohamed Morsi lors de l’élection de 2012, n’est qu’une petite consolation.

  • Le pouvoir d’Al-Sissi désormais légitimé…

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En fait, dans toute cette entreprise, qu’il faut hélas, bien malgré soi, considérer formellement comme démocratique, je parie fort que Al-Sissi ne tenait qu’à rechercher une simple légitimation en pouvoir de jure d’un pouvoir de facto qu’il détenait déjà, depuis qu’il a, au nom d’une autre variante de démocratie, destitué et emprisonné son prédécesseur l’islamiste Mohamed Morsi. Un Mohamed Morsi que, pourtant, de nombreuses paires des yeux démocrates du monde, continuent à ce jour, à regarder comme le premier président égyptien véritablement et démocratiquement élu dans ce pays qui a vu déferler une vague historique des raïs à sa direction. En observateur désintéressé, on peut se demander si cet illusoire plébiscite de Al-Sissi lui donnera bientôt les coudées franches pour gouverner l’Egypte ? Pas très évident à mon avis, au regard de ce thermomètre de participation qui cache à peine, le boycott et le désintérêt d’une large portion du peuple égyptien à cette farandole élection présidentielle.

  • … va t-il aussi dorénavant légitimer la répression ?

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Le désaveu, comme on peut le penser, de cette présidentielle égyptienne qui semble s’exprimer, au travers de cette faible participation, provient, à coup sûr, des diverses franges des populations du peuple égyptien composées, à mon avis, des milliers de bouillonnants révolutionnaires du mouvement du printemps arabe de 2011, de l’opposition progressiste, des mouvements de la jeunesse, etc. Mais surtout, des Frères musulmans frustrés, du coup fourré de Al-Sissi qui a chassé Mohamed Morsi de son fauteuil présidentiel en juillet 2013. Tout de suite, cette histoire récente du peuple égyptien, crée … in my mind, des prémonitions de doute, de crainte, de peur…  quant à l’avenir et aux lendemains postélectoraux présidentiels paisibles en Egypte. J’ai grandement peur que l’apparent calme actuel d’une après élection présidentielle boudée, ne soit qu’un simple leurre avant la bourrasque. Je crains que l’onction juridique acquise, le désormais plus que jamais homme fort du Caire actuel n’explose sa haine des Frères musulmans et n’accomplisse la menace d’élimination totale qu’il a récemment proféré à cette secte.  

Je fonde aussi mes peurs sur d’autres faits observables. Si déjà, dans sa posture de pouvoir provisoirement, de facto, Al-Sissi n’a pas hésité à massacrer près de 1 400 frères musulmans et à emprisonner quelque 15 000 autres d’entre eux au terme des procès bidon, qui l’arrêtera désormais de poursuivre sa besogne une fois l’onction de jure de son pouvoir acquise ? Et lorsque au-lendemain de son élection, de ses propres dires, il averti que la vraie démocratie en Egypte, ce n’est pas avant 25 ans, ne pourriez-vous pas me rejoindre dans mes inquiétudes ?

Déjà, en dépit du satisfecit de ses observateurs et de l’UE qui paradoxalement semble regretter (est-ce vraiment ?) l’absence et l’implication de l’opposition égyptienne dans le processus électoral, pour les Frères musulmans, le boycott des urnes est une nouvelle gifle au pouvoir de Al-Sissi et signe le certificat de décès de son coup d’Etat militaire du 3 juillet 2012, là où Shadi Hamid, chercheur au Saban Center américain, explique  :

« Personne hors d’Egypte ou en Occident n’a jamais cru qu’il s’agissait d’une élection libre et juste ». Mais avec la prolongation du scrutin, « le régime apparaît comme incompétent et ne cachant pas son cynisme, ce qui va galvaniser les Frères musulmans, qui diront qu’ils dénonçaient cela depuis le début. »

Les différents sons de cloche commencent déjà à résonner. L’histoire ne manquera pas bientôt de nous fixer sur le sort immédiat d’un grand pays et d’un grand peuple que malheureusement la folie humaine risque de tirer vers un abîme. Je ne le leur souhaite pas en tous cas.

 

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Commentaires

Nouari Ahlem
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A mon avis quand la démocratie en Egypte perd sa légitimité , nul Président vient après Mohamed Morsi,est légitime !.

laackater
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Puisse le maréchal vous entendre. Mais surtout tous les souhaits de paix au peuple égyptien

zelia NGOPU
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L'ex-chef de l'armée Abdel Fattah Al-Sissi a été élu président de l'Egypte avec 96,9 % des voix. Si son arrivée au pouvoir s'apparente à un recul au niveau démocratique, il pourrait permettre d'insuffler un nouvel essor au pays car
la grande majorité des Égyptiens, confrontée aux difficultés du quotidien, attend beaucoup de l’ancien maréchal. Et en effet, la principale question pour les Égyptiens (comme elle devrait l’être pour les Occidentaux), est plutôt de savoir si le nouveau président parviendra à surmonter les deux grands défis du pays, à savoir : stabiliser et sécuriser l’Egypte, puis relancer une économie exsangue

laackater
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Le maréchal devra savoir qu'il est désormais le président de tous les égyptiens et s'affranchir de toute forme d'exclusion d'une partie du peuple égyptien qu'il s'est proposé d'anéantir. N'est-ce pas Zelia ?